Le scandale du Baiser de Brâncuși
Vision charnelle
Originaire de Roumanie, Constantin Brâncuși est un sculpteur prolifique qui doit son initiation artistique à l’illustre Auguste Rodin, son mentor. Mais l’artiste en herbe s’émancipe rapidement de ce dernier pour pratiquer une sculpture plus personnelle bientôt qualifiée d’abstraite et précurseuse des courants minimaliste et surréaliste. Brâncuși, qui se plaît à travailler la matière sans ébauche préalable, imagine le Baiser entre 1907 et 1908 : ce bloc de pierre brut, à peine affiné représente deux bustes de profil s’embrassant et s’enlaçant. Des nuances presque imperceptibles dans la chevelure et la morphologie permettent de distinguer un homme et une femme, comme complémentaires. Brâncuși, à travers cette sculpture dépouillée, propose une dimension non plus seulement visuelle mais spirituelle pour isoler le motif amoureux et lui restituer toute son essence.
Une fonction funéraire
Au fil des années, la statue se décline en plusieurs versions et son auteur prend plaisir à la perpétuer. Mais sa symbolique se complexifie à partir de 1910 : une famille russe vient de rentrer en contact avec Brâncuși pour faire apparaître le motif sur une pierre tombale. La dénommée Tatiana Rachewskaïa, jeune femme de 23 ans fraîchement arrivée à Paris, vient de se suicider à la suite d’un chagrin amoureux. Elle est l’amante d’un médecin rencontré dans la capitale, Solomon Marbais, qui se trouve être un ami de Brâncuși. Ce drame, sorti tout droit d’une scène tragique de la littérature russe, propulse Le Baiser à un stade que son auteur n’aurait jamais soupçonné. Ce dernier vient justement de finir une version étirée de 90 cm de haut sur laquelle les corps apparaissent entièrement, qu’il cède à la famille russe pour la modique somme de 200 anciens francs.
Parfum de scandale
La sculpture vient bientôt compléter la sépulture de la défunte Tatiana Rachewskaïa qui se retrouve en plein cœur du cimetière Montparnasse dans le 14e arrondissement de Paris. Presque cent ans s’écoulent paisiblement tandis que la sépulture se métamorphose en un temple romantique où les amoureux se retrouvent pour célébrer leur amour dans un élan solennel. Mais un événement survient : en 2005, une vente aux enchères sacre une autre sculpture de Brâncuși issue d’une série, l’Oiseau dans l’espace, pour environ 27 millions de dollars. La nouvelle se répand tel un raz-de-marée et un certain Guillaume Duhamel, marchand d’art, s’empresse de contacter les héritiers de Tatiana Rachewskaïa pour récupérer la sculpture du Baiser qui pourrait connaître un destin similaire.
Un avenir incertain ?
Une fois n’est pas coutume : les héritiers Rachewskaïa tentent de faire valoir leurs droits auprès de la justice française, une fortune à la clé. C’est le début d’un bras de fer entre la famille et l’Etat français : la descendance affirme que la statue existait avant d’être placée sur la sépulture tandis que l’Hexagone parle d’un tout indissociable. Pendant un temps, on parle de remplacer la sculpture par une copie mais le gouvernement français exerce son droit de veto implacable et le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres s’y oppose catégoriquement. En 2010, Le Baiser de Montparnasse est classé monument historique, une décision qui interdit formellement le descellement de la sculpture. Un dispositif de vidéosurveillance est même installé sur le site ! Depuis 2018, Le Baiser est scellé dans une caisse en bois et ne semble pas prêt de quitter le territoire français. Affaire à suivre…
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Image à la une : Le Baiser
Sources : Beaux Arts Magazine, Centre Pompidou, Connaissance des arts, Le Petit Journal, Marianne Julien Mazzerbo
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